Transformation digitale des banques : les défis d’aujourd’hui font la croissance de demain
Dans un contexte économique incertain et face à la concurrence croissante des néo-banques, les banques traditionnelles doivent repenser leur modèle. Les régulations récentes et l’essor des technologies, comme la finance décentralisée, obligent le secteur à évoluer. Mais c’est avant tout la pression grandissante pour intégrer des pratiques durables qui pousse les établissements financiers à s’adapter. Romain Gmerek, directeur associé chez ekino, examine les enjeux de cette transformation, où innovation et responsabilité environnementale se rencontrent pour redéfinir l’avenir des banques.
Introduction
Face à une conjoncture économique et politique mondiale instable, à une concurrence accrue des néo-banques, et à l’avènement de l’intelligence artificielle, les banques de détail doivent transformer leur modèle pour répondre aux attentes grandissantes des clients en matière d’immédiateté, de disponibilité et de rapidité. Et cette transformation ne se fera pas sans prendre en compte les enjeux environnementaux majeurs. Ainsi, consommateurs et réglementation incitent les institutions traditionnelles à intégrer des pratiques durables et responsables, tout en redéfinissant leurs priorités stratégiques et la relation qu’elles entretiennent avec leurs clients.
Les nouvelles régulations : catalyseurs de transformation
Les nouvelles régulations poussent les institutions financières à rendre leurs systèmes plus accessibles tout en assurant la sécurité des consommateurs. Après le KYC1, bien intégré aux process bancaires, la régulation MiCA2 et la proposition de cadre législatif européen FIDA3 incitent les banques à ouvrir leurs systèmes tout en garantissant sécurité et innovation. En permettant l’accès aux actifs et en encourageant le partage des données bancaires, ces régulations sont une opportunité renouvelée d’ouvrir la voie au développement de nouveaux services digitaux pour les banques.
En qui concerne la régulation MiCA et du marché des crypto-actifs, une étude annuelle de l’ADAN4 parue en mars 2024 montre que « 6,5 millions de Français, soit 12% de la population, possèdent des crypto-actifs », ce qui confirme l’intérêt croissant pour ces nouvelles formes de valeur.
Quant à la proposition de cadre législatif européen FIDA, il encourage le partage des données bancaires des clients avec des tiers, sous réserve de l’accord du consommateur, offrant ainsi des perspectives prometteuses aux acteurs qui proposeront des offres de services innovantes s’appuyant sur cette réglementation.
Avec un tel cadre réglementaire européen favorisant un écosystème financier plus ouvert et une utilisation étendue de données, le champ des possibles s’élargit pour les banques qui tireront parti des principes d’une finance décentralisée afin d’offrir de nouveaux services à leurs clients.
Dans un futur moins proche, il s’agira pour les banques de se préparer à l’arrivée du portefeuille numérique européen. Parmi les quatre projets pilote lancés en mai 2023, se trouve le projet POTENTIAL5 qui vise à favoriser l’innovation, la collaboration et la croissance dans six secteurs, dont la banque. A terme, l’ambition est de permettre aux clients d’ouvrir des comptes bancaires, de signer des contrats et d’effectuer des paiements de manière sécurisée et transparente, en utilisant leur identité numérique européenne, offrant ainsi de nouveaux débouchés de croissance pour les banques.
Enfin, après les néo-banques dont la croissance montre des signes de stagnation, ce sont la finance intégrée et le BaaS6 (Banking as a Service) qui redéfinissent le paysage concurrentiel. En permettant aux banques agréées et autres institutions financières de fournir leur infrastructure, leurs produits et leurs services à des établissements non bancaires via des APIs, ces mêmes établissements peuvent proposer des services financiers directement à leurs clients.
Avec 64% des PME interrogées intéressées par des services financiers intégrés à une plateforme, un rapport d’Adyen et du BCG publié en octobre 2024 confirmait cette tendance. C’est pourquoi, face à des fintechs comme Adyen ou Stripe, les banques traditionnelles ont tout intérêt à soutenir leur innovation pour offrir des services en rapport avec les attentes de leurs clients.
Face à ces évolutions réglementaires et technologiques, les banques doivent non seulement s’adapter, mais aussi anticiper les attentes de leurs client·es. Et parmi ces attentes, une tendance se détache nettement : la durabilité.
La durabilité : un facteur différenciant incontournable
La priorité accordée à l’éco-responsabilité croit chaque année parmi les clients, influençant leurs choix financiers. Pour y répondre, les banques de détail doivent mieux intégrer à leurs offres les critères ESG7, les initiatives de finance durable et d’ISR8.
Ce ne sont pas que des obligations réglementaires, ce sont aussi des opportunités de croissance et de différenciation. Ce qu’illustre une étude de Bain & Company9 publiée en mars 2024, indiquant que « 50% des clients ayant entendu parler des offres ESG de leur banque se déclarent prêts à y souscrire, et 20% l’ont déjà fait ».
D’ici à la fin de 2025, le paysage des fonds ESG connaîtra une profonde transformation. En Europe, les lignes directrices de l’Autorité européenne des marchés financiers imposeront des normes strictes pour les fonds utilisant des termes ESG dans leur nom. Entre 30 % et 50 % des fonds ESG de l’UE devraient changer de nom ou ajuster leurs portefeuilles pour respecter ces nouvelles normes.
En parallèle, les obligations GSS+ (vertes, sociales, durables et liées à la durabilité) devraient dépasser les 1 000 milliards USD d’émissions en 2025. L’UE introduira une norme volontaire pour renforcer la confiance des investisseurs, exigeant qu’au moins 85 % des fonds soient alloués à des activités conformes à la taxonomie de l’UE. Cela devrait encourager davantage d’émissions d’obligations pour financer des projets verts.
Les banques doivent donc être proactives dans la promotion de leurs offres ESG pour attirer et fidéliser ces clients, et tirer parti du canal digital pour les mettre en avant. Cette appétence se confirme si l’on prend le cas de Green-Got : après s’être lancée avec succès en 2020 en tant que néo-banque souhaitant financer la transition écologique et énergétique, Green-Got vient de lever 5m€ supplémentaires en nov. 2024 en crowdsourcing, en moins de trois heures, pour poursuivre sa croissance et mettre en place ses propres infrastructures technologiques afin d’obtenir un agrément d’établissement de paiement par l’ACPR.
Enfin, dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, les banques ont un rôle à jouer en adoptant des pratiques durables et en soutenant des projets de décarbonation afin de contribuer à la lutte contre le changement climatique. Cela inclut notamment l’adoption de technologies vertes. Un des enjeux sera alors de concilier décarbonation et utilisation de l’IA, fréquemment pointée du doigt pour sa consommation énergétique.
Conclusion : vers une banque plus agile, plus ouverte, et plus verte
La banque de demain sera marquée par une interaction toujours plus riche entre innovation technologique, attentes sociétales et évolution réglementaire. Pour réussir cette transition, les institutions bancaires doivent adopter une approche agile et collaborative, tout en plaçant l’expérience client au cœur de leur stratégie. Les partenariats avec des fintechs, la co-création de services et l’investissement dans les talents en IA et en data seront essentiels pour garantir leur compétitivité. Alors que les banques redessinent leur rôle dans un écosystème de plus en plus ouvert, elles disposent aujourd’hui d’une occasion unique de façonner un modèle à la fois durable et centré sur le client, préfigurant une nouvelle ère pour le secteur bancaire.
Notes/Sources
1 KYC (Know Your Customer) est la procédure que les entreprises réalisent pour vérifier l’identité de leurs clients conformément aux exigences légales et aux réglementations en vigueur. Cela inclut la collecte d’informations telles que le nom, la date de naissance, l’adresse et le numéro d’identification du client. L’objectif est de lutter contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Plus de détail sur la réglementation européenne : https://finance.ec.europa.eu/financial-crime/anti-money-laundering-and-countering-financing-terrorism-eu-level_en
2 La régulation MiCA (Markets in Crypto-Assets) est un cadre réglementaire européen harmonisé pour les cryptoactifs. Elle vise à encadrer les émissions et les services sur cryptoactifs qui ne relèvent pas des réglementations existantes en matière d’instruments financiers et de produits financiers. MiCA couvre des aspects tels que la transparence, la divulgation, l’autorisation et la supervision des transactions de cryptoactifs. Voir notamment : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/dossiers-thematiques/mica
3 FIDA (Financial Data Access Regulation) est une proposition législative donnant un cadre pour l’accès par des tiers aux données bancaires des consommateurs, sous réserve de l’accord de celui-ci. Initiative clé de la stratégie de finance numérique de l’UE, elle constitue la base législative de la mise en œuvre de l’Open Finance à l’échelle européenne. Voir notamment : https://finance.ec.europa.eu/digital-finance/framework-financial-data-access_en
4 Source : https://www.adan.eu/publication/etude-2024-web3-et-crypto-en-france-et-en-europe/
5 Pour plus d’informations sur le projet POTENTIAL : https://www.digital-identity-wallet.eu/
6 Les services BaaS (Banking as a Service) permettent aux banques agréées et autres institutions financières de fournir leur infrastructure, leurs produits et leurs services bancaires à des établissements non bancaires via des APIs. Ces établissements peuvent ainsi proposer des services financiers directement à leurs clients sans avoir le statut de banques. Par extension, le BaaS porte le marché des CaaS (Card as a Service). Voir notamment : https://www.idemia.com/fr/perspective/en-quoi-la-finance-embarquee-beneficie-t-elle-la-fois-aux-banques-et-aux-vendeurs
7 Les critères ESG (Environnementaux, Sociaux, Gouvernance) sont des dimensions utilisées pour évaluer la durabilité et l’impact éthique des investissements dans une entreprise. Ils englobent les aspects environnementaux (comme les émissions de CO2 et la consommation d’énergie), sociaux (comme les conditions de travail et les droits humains), et de gouvernance (comme la transparence et la lutte contre la corruption). Voir notamment : https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-produits-financiers/finance-durable/glossaire-de-la-finance-durable
8 L’Investissement Socialement Responsable (ISR) consiste à intégrer systématiquement des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la gestion financière. Cela permet de soutenir des entreprises qui adoptent des pratiques durables et éthiques tout en recherchant un rendement financier. Voir notamment : https://www.lelabelisr.fr/
9 Source : Etude Bain & Company sur les comportements clients dans la banque de détail en France en 2024. https://www.bain.com/fr/a-propos-de-bain/media-center/communiques-de-presse/france/20232/etude-bain–company-sur-les-comportements-clients-dans-la-banque-de-detail-en-france-en-2024/
Lire plus d’articles
-
5 Minutes read
IA : quel futur pour la banque digitale de détail ?
Lire la suite -
5 Minutes read
L’innovation responsable : enjeux et opportunités pour les grandes entreprises
Lire la suite -
5 Minutes read
Enjeux, obstacles et perspectives du secteur banque/assurance à l'ère digitale
Lire la suite